[Humaine pas comme les autres]

Lara venait de passer une journée épouvantable. Pour une raison bien simple : Henry avait eu un jour de repos. Il avait passé la journée à lui faire des câlins, lui dire des mots doux...Mais quelle hypocrisie...Lara avait fait comme d'habitude, pour qu'il ne s'aperçoive de rien. Elle lui avait fait son plat préféré, avait repassé ses plus beaux vêtements, et lui avait même préparé un bain chaud. Il partait en voyage le lendemain pour 5 jours. Voyage important disait-il, et il ne fallait absolument pas qu'il le rate pour sa carrière. Si il lui disait directement qu'il rejoignait ses 5 ou 6 maîtresses, cela la soulagerait un peu. Comment cet homme qui n'est autre que son mari peut lui mentir à ce point ? Lassée de tout ça, Lara décida de s'offrir un plaisir. Cela tombait bien, Henry se coucha tôt pour ne pas être "fatigué" à son réveil.

Lara s'installa confortablement dans le fauteuil, et alluma la télévision. Enquêtes policières, documentaires sur le village perdu de Tombouctou, comédie romantique-mélodramatique où tout le monde s'aime à la fin...en clair, rien de bien intéressant. Elle expira fortement et posa ses yeux sur le magazine posé sur la petite table de salon.
Les nouvelles sorties ciné. Elle hésita quelques secondes. Et si elle croisait quelqu'un qu'elle connaissait ? Sortir seule sans son mari, cela ferait un peu déplacé non ? Oh et puis TANT PIS...

Elle attrapa son manteau, mis ses chaussures et prit la voiture direction le cinéma.
Elle arriva quelques minutes après et chercha pendant 10 minutes une place. Déjà qu'elle était de mauvaise humeur, rien ne lui était facilité.
Le film commençait dans 20 minutes, même si elle ne savait toujours pas ce qu'elle allait voir.
Elle se gara enfin et descendit vite de son véhicule avant qu'il ne lui reste plus un billet.
Elle arriva essoufflée au guichet et décida rapidement, elle opta pour le dernier film d'action en date, ça la changera un peu.

Autant aller jusqu'au bout de cette soirée en tête à tête avec elle-même, elle se prit un très gros paquet de pop-corn, de sorte qu'on croirait qu'elle attendait 5 personnes.
La salle n'était pas encore ouverte, et il y avait beaucoup de bruit dans le petit salon où l'on pouvait patienter. Ses yeux s'arrêtèrent sur une dispute de jeunes. Apparemment, une dispute à propos d'une fille. Ah ben oui, la fille là derrière, qui espère vite les séparer avant que tout le monde ne se mette en ronde autour d'eux. Lara eut un petit sourire devant la scène, puis changea d'expression rapidement. Au moins, cette fille avait de la chance, on se battait pour elle. Sans les lâcher des yeux, elle s'assit à côté d'un jeune homme qui avait l'air d'apprécier ce qu'il voyait. Il en avait l'air très amusé.

Sans même y faire attention, elle se parla à elle-même...

"Si seulement je pouvais revenir à cette époque..." avec un certain ton d'amertume dans la voix.

[Humaine pas comme les autres]

Ce jeune homme à côté d'elle semblait extrêmement amusé de la situation. Oui, au moins un que cela faisait rire. Lara n'aimait pas se faire remarquer et toute cette agitation ne l'amusait guère.
Sans même faire attention, elle laissa échapper cette phrase, assez mal placée face à un inconnu, mais ce dernier la regarda, amusé encore une fois...

"Vous voulez vous battre? On peut essayer si vous voulez...Bon okay ce n'est pas drôle... Vous voudriez vraiment être à la place de cette fille? A votre place, non. Elle va finir seule cette nana. Soit, elle va larguer les deux types parce qu'ils ne pourront s'empêcher de se battre, soit ce seront eux qui partiront, lassés d'elle. Honnêtement, on est mieux en tant que spectateurs"

Lara inspira. Hé oui, il avait pourtant raison mais elle aurait voulu que quelqu'un se batte pour elle même si cela ne devait durer que le temps d'un film au cinéma. Mais bref...

" Vous avez raison. Mais quand on est comme moi, trop spectateurs, on a tendance à vouloir être sous les feux des projecteurs quelquefois."
Elle sourit légèrement et fit un geste de repousse avec sa main.

" Oh, laissez tomber, ne cherchez surtout pas à comprendre" dit-elle en rigolant.
Le jeune homme avait déjà toute son attention portée sur son immense paquet de pop corn.

"Je peux vous en prendre s'il vous plait? Juste une poignet! S'il vous plaaaait"

Lara s'empressa de lui tendre le pop corn en rigolant. Il s'apprêtait à en prendre une grosse poignée lorsque soudainement la scènette de la dispute fut interrompue par le personnel du cinéma. Lara était déçue, elle aurait vraiment voulu voir comment se serait terminé ce combat. Tant pis. Peut-être ne valait-il mieux pas connaître la fin. Tout comme elle essaie de ne pas penser à l'homme qui dort dans son lit. Ca non plus, elle ne souhaite pas voir comment ça se terminera.
Son voisin semblait très déçu lui aussi, autant qu'il refusa le pop corn. Elle le supplia de façon amusante.

"Si vous reposez ce pop corn, vous allez commettre un crime. Vous n'allez pas laisser une pauvre jeune femme s'engraisser de la sorte ?"
Et c'est ainsi qu'il mit les flocons dans sa bouche. ^^

"Vous venez voir quel film?"
" Comment tuer son boss ? Intéressant n'est-ce pas ? Je regrette que ce film n'existe pas pour savoir comment tuer son mari"

Lara, qui avait l'habitude fâcheuse de sourire à tous les coins de rue pour étaler son bonheur fictif, baissait sa garde pour une fois. Et exprimait ses sentiments face à un inconnu qui peut-être connaissait son mari.

[Humaine pas comme les autres]

Lara sentait que peu à peu, la situation dérapait et qu'elle commençait à se confier au jeune homme, chose qu'elle n'avait absolument pas l'habitude de faire. Mais ce soir, elle s'en foutait un peu, au diable les bonnes manières et les fausses apparences. Malgré tout, elle souhaitait être prudente. Elle était tiraillée par le fait de garder ce foyer qu'elle s'était construit avec son premier amour et la vengeance pure et parfaite. Mais il était encore trop tôt, comme on dit, la vengeance est un plat qui se mange froid. Et celui de Lara serait glacé. Le jeune homme, qui avait sans aucun doute "capté" la situation, répondit avec compréhension. Et Lara dit de même :

"Pas de questions, oui, ce sera parfait. "

"Han je n'y crois pas! Vous osez me tenter? Pas étonnant qu'Eve ait croqué dans la pomme, petite tentatrice. Et le coup de l'oie qu'on engraisse, ça ne marche pas avec moi. Vous êtes une très belle femme et honnêtement, ce n'est pas votre paquet de pop corn qui va vous déformer. Petite tentatrice je résiste à votre charme et ne prend pas ces pop corn car la scène la plus intéressante vient de connaitre une fin tragique et beaucoup plus courte."

Cela faisait longtemps que Lara n'avait pas ri ou même souri de bon coeur ou sincèrement. Le faux sourire et le rire trompeur étaient devenus ces spécialités. Il lui fit des compliments, comme le fait qu'elle était très belle par exemple, ou qu'elle était une tentatrice. Lara fut touchée, car même si elle n'attendait rien de ces paroles, quelqu'un les avait prononcées pour elle. Et cela lui avait réchauffé le coeur pour au moins quelques heures. Elle aussi, prit un air faussement outré pour répondre au jeune homme.

"Si demain, on aura retrouvé une grosse oie raffalée dans un fauteuil de cinéma gavée de pop-corn, je vous tiendrais pour responsable ! " dit-elle en rigolant de bon coeur.

" Trève de plaisanteries. Moi c'est Lara. " Elle tendit la main vers le bel inconnu qui lui rendit. Puis il enchaina sur sa réponse plus ou moins coup de poing :

"Regardez plutôt la série Dexter pour ça, très discret et en finesse ou engager un tueur à gage. Mais c'est dur de vivre avec un meurtre sur la conscience, pourquoi ne pas tout simplement divorcer?Plus simple non?"

" Plus simple ? "

Lara se lança alors dans un monologue et une théorie intéressante qui semblait fasciner son voisin...

" Si je divorce, il sera libre, comme l'air, il ne sera plus lié à moi et je ne serais plus en mesure de lui faire subir les pires crasses du monde ! Ce qui est bien quand on est marié avec un homme qu'on hait, c'est que le soir dans le lit, lorsqu'il vous serre dans ses bras, persuadé qu'il est aimé comme au premier jour, moi, je peux sortir le couteau que j'ai en-dessous de mon oreiller !"

Lara, perdu dans ses pensées machiavéliques, n'avait plus remarqué l'air abasourdi que lui tendait son voisin. Certes, ce qu'elle venait de dire était vrai mais là, elle avait tout de même été trop loin. Elle préféra donc se rabattre sur un petit sourire embarrassé :

"Oh, je sais, j'ai beaucoup d'imagination ! On pourrait m'employer comme scénariste, je ferais carton ! "

Bien entendu, le jeune homme ne saura pas déterminer si oui ou non, cette réponse était le reflet de sa véritable vie et il n'aura pas le temps de le savoir :

" Et vous ? Vous connaissez ça, le mariage, le divorce ?" dit-elle en s'enfournant une grosse poignée de pop corn.

[Humaine pas comme les autres]

Partager ses pop-corn, voilà quelque chose de compliqué pour la jeune femme mais bon après tout, c'était pour la bonne cause. Pour se donner bonne figure, comme d'habitude. Le jeune homme répondit à son tour.

"Je suis enchanté Lara, je me prénomme Luka."

Elle sourit doucement. Finalement, elle était contente d'être sortie. Elle pensa deux minutes à son mari chez elle qui dormait dans son lit, qui peut-être s'était aperçu qu'elle était sortie, mais les chances étaient minces. Elle replaça une mèche de cheveux discrètement derrière son oreille comme signe de timidité et sourit.

" Luka, c'est un beau prénom"

Puis la discussion s'enchaîna sur son mari. Quel chance il a dis-donc, même quand il n'est pas là et qu'elle veut le fuir, on parle de lui. C'était plus fort qu'elle. On dira qu'elle est un peu folle : c'est vrai, déblatérer des horreurs sur son mari en parlant de meurtre à un inconnu, il aurait très bien ou prendre cela au sérieux après tout. Mais quelle veine elle a ce soir elle aussi, puisqu'apparemment, son nouvel ami était philosophe et de son côté.

"Ouais quel pied il aura s'il survécu à ses blessures et que vous serez en prison pour tentative de meurtre. Quant bien même s'il meurt, vous passerez votre vie en taule, si vous sortez, vous serez obligée de changer de ville pour ne pas que les gens vous jugent et que vous soyez rejetée. Le divorce a des côtés positifs: prouver qu'il est en tort et récolter sa fortune. Gling gling! Jackpot! Envolez vous pour la Barbade ou où vous volez et faites vous dorer la pilule pendant que lui se tuera au boulot pour vous payer la compensation qu'il vous doit."

Ceci aurait pu faire sourire n'importe quelle femme qui souhaite divorcer. Prendre le fric, se barrer loin et bronzer au soleil. Rien de tout cela ne faisait envier Lara. Non, elle ne savait pas pourquoi mais elle sentait qu'elle avait encore quelque chose à faire avec son mari, qu'ensemble, ce n'était pas une histoire de tromperie. Sans savoir pourquoi, elle se sent redevable. Ce qu'elle voulait tout d'abord, c'est comprendre pourquoi il lui faisait ça, pourquoi ne l'avait-il pas quittée...
Pour ne pas partir dans un débat enflammé sur son mariage , elle préféra répondre :

"C'est très...compliqué...malgré tout l'argent qu'il pourrait avoir, c'est bien la dernière chose que j'aimerais lui prendre...vous voyez, je le sais, je suis étrange " dit-elle en rigolant.

Quant au fait de savoir s'il était marié ou pas, Luka fut clair.

"Oh, mais vous êtes le plus chanceux de nous deux. Vous avez raison. " avec un clin d'oeil

C'était un jeune homme pleins de ressources...il ne la connaissait que depuis quelques minutes et il essayait du mieux qu'il pouvait de la réconforter dans ses envies de meurtre conjugal.

Elle soupira fortement...

" Est-ce qu'il le mérite ? Je n'en sais rien, à vrai dire, peut-être est-ce moi qui mérite ce qu'il me fait subir...personne ne peut le dire."

Elle se tourna vers lui et lui sourit :

" Vous me faites penser à un ange gardien...merci en tout cas. Quelqu'un d'autre aurait très bien pu m'envoyer promener..."

[Humaine pas comme les autres]

Lara sourit gentiment à Luka. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas eu une discussion comme miantenant. Elle qui avait toujours l'habitude de ne pas montrer ses sentiments et de faire comme si tout allait bien et tout le temps était plutôt surprise d'elle-même.
"C'est tout à fait gentil de votre part mais ce n'est pas moi qui l'ait choisi. Il faut le dire à mes parents. Moi je m'y suis fait, même si je portais un nom ridicule, je ressentirais la même chose."

Les parents...un sujet bien délicat. Une mère ignorante, un père absent et un frère adoré qu'elle a perdu du jour au lendemain. Un sentiment d'inexistence car au final, sa famille, c'était vraiment raté. " Oh, il ne faut surtout pas tout pardonner aux parents. Moi, si'ils m'avaient donné un prénom horrible, je leur en aurai certainement voulu" dit-elle en rigolant. "Mais bon, je m'en sors pas trop mal au final".

Revint donc le fameux sujet du mari. Assis là, attendant l'ouverture de la salle de cinéma, Lara parlait encore et toujours de son mari. Mais cette fois-ci, il lui semblait qu'elle ne mâchait pas ses mots. En réalité, elle déversait tout ce qu'elle contenait en elle. Elle ne savait pas vraiment si c'était une bonne chose mais puisque c'était dit, autant continuer. Luka avait un don extraordinaire. Il avait les paroles justes, au moment où on les attend. Pourquoi ne pas le quitter ? Sa vie était une succession d'échecs, et tout irait mieux si elle partait. Oui, mais pourtant, rien n'y fait, elle ne pouvait s'y résoudre. "Ce n'est pas vous qui êtes curieux, c'est la situation. C'est vrai, ce que vous dites est d'une exactitude parfaite mais pourtant, je n'arrive pas à savoir pourquoi je reste là, à ne rien faire. Quelquefois, j'attend l'aide de quelqu'un. Vous savez, une sorte de "messager" qui me dirait quoi faire". Lara ignorait l'ampleur de ses paroles. Chaque mot avait une résonance particulière et elle s'en rendrait bien compte si elle savait qu'elle était en face d'un messager au service du mal. Un être qui au final, est en contradiction avec sa nature. Ou bien jouait-il un jeu avec l'humaine sensible à souhait ou était-il vraiment sincère.
Tuer son mari...Une idée qui révolte, qui laisse penser à une grande douleur, un acte de folie. Mais sans lui, au final, que serait-elle ? Elle n'a plus personne sur qui compter à part lui et c'est elle qui perdrait si elle le quitte, car le tuer, elle en serait incapable.
Lara sourit aux compliments que lui lançait le jeune homme.

" Il est vrai qu'une mouche n'a pas de souci à se faire et bien sûr que je ne pourrais jamais commettre un acte pareil. Je n'en aurais pas le courage. Il faut faire parti du cercle des héros pour ça. Pas moi..."

Un silence se plaça puis Luka éclata de rire. Qu'y avait-il de si drôle à dire qu'il était un ange ? Elle ne comprit pas mais rigola avec lui. Elle hocha la tête pour lui permettre de prendre du pop-corn et celui-ci enchaîna sur son métier. Tiens, encore un sujet passionnant.

"Je suis professeur de français. Encore une des rares choses qui me passionne. "